Le handicap, source d’inspiration pour une cohérence managériale globale
L’article L114-1-1 (V) du code de l’action sociale et des familles pose le droit à la compensation pour les personnes handicapées. C’est-à-dire qu’il est fait obligation à l’employeur de compenser les conséquences du handicap d’une personne sur son activité professionnelle.
Cette notion de compensation vise à reconstruire l’égalité des chances entre les salariés handicapés et ceux qui ne le sont pas. Guy TISSERANT parle alors d’un management équitable qui tend à trouver une combinaison raisonnable des efforts de la personne handicapée elle-même, de son collectif de travail et de son employeur.
Loin de toute logique de favoritisme, la compensation du handicap n’est pas l’apport d’un avantage à une personne par rapport à une autre, mais le rattrapage du désavantage qu’elle subit à cause de son handicap et en l’absence de choix alternatif.
La compensation peut revêtir plusieurs formes :
- Technique (ergonomie, accessibilité, tierce personne…)
- Organisationnelle (réduction/aménagement du temps de travail, modification de l’organisation du travail, adaptation des objectifs individuels…)
- Managériale, comportementale et psychologique (considérer l’intégralité de la personne, faire appel à des spécialistes…)
- Formation (destinée à rattraper le déficit de formation des personnes handicapées)
Notons que l’on vient de résumer, certes sommairement, les principaux axes de l’acte managérial.
Une démarche équitable, visant une personne singulière, se heurte rapidement à l’approche égalitariste du « tout le monde traité à la même enseigne ». Sortir du schéma égalitariste, rapide à mettre en œuvre, rassurant car évitant les dilemmes du cas par cas, suppose d’avoir de « bonnes raisons » de le faire. Ceci nous renvoie à l’article traitant des enjeux d’une politique handicap.
« Quand on est confronté à une situation nouvelle, on trouve des solutions auxquelles on n’aurait jamais pensé sans cela. »
Pour répondre aux besoins spécifiques d’une personne handicapée l’employeur va se mettre en quête des solutions les plus adaptées. Parfois, il faudra faire preuve d’ingéniosité, inventer ce qui n’existe pas encore (matériel…), parfois il « suffira » de faire sienne une pratique inusitée dans son entreprise (temps partiel, télé travail…). C’est d’ailleurs dans ce cadre-là que le recours à la compensation organisationnelle est le plus fréquent. Notons qu’il s’agit de la forme de compensation la plus difficile à mettre en œuvre car elle vient heurter directement les procédures de l’entreprise. La crise de la Covid-19 nous en a donné de multiples illustrations.
La capitalisation sur ces bonnes pratiques et leur généralisation peuvent conduire à une progressive inversion des normes pour l’ensemble des personnes handicapées. L’invention devient alors peu à peu innovation.
Élargissons la réflexion en y intégrant les causes d’apparition du handicap. Outre les accidents et maladies professionnelles ou non, l’une des causes principales de l’apparition des besoins spécifiques d’une personne est son avancée en âge. Un simple regard sur le taux d’emploi des populations séniors, combiné à l’allongement de la durée de vie au travail permet de prendre la mesure du fait qu’il faudra répondre à de plus en plus de besoins spécifiques. L’enjeu sera pour l’employeur de nature stratégique : conserver ses forces vives pour rester concurrentiel.
Au-delà de l’obligation légale, l’OETH peut être considérée comme une opportunité. Elle impose aux employeurs de « s’entraîner » à répondre aux besoins spécifiques d’une population limitée en nombre. Dans un avenir proche, la réponse à ces besoins concernera une population bien plus large qui ne disposera pas forcément d’une reconnaissance de handicap permettant le financement des compensations via le budget spécifique qu’autorise la si décriée Contribution Volontaire. Il s’agira pour l’employeur de dégager un budget propre afin de mettre en œuvre les solutions les plus adaptées à sa population professionnelle vieillissante. L’OETH représente donc une opportunité d’apprentissage à saisir dès maintenant.
Mais cet apprentissage ne peut se faire qu’à la condition d’une réflexivité [1] que les entreprises ne sont pas toutes disposées à engager. Se pose en effet le débat récurrent entre efficience et efficacité. Certes, répondre à des besoins spécifiques a un coût immédiat (et je ne limite pas mon propos aux seuls aspects financiers), mais ce coût est-il supérieur à celui, futur, découlant d’une population devenant de moins en moins adaptée aux contraintes du monde du travail ?
Si l’on considère l’OETH comme l’opportunité d’un apprentissage au profit d’une population vieillissante, on aborde déjà un autre aspect de la diversité : la séniorité. La logique commune avec le handicap étant la prise en compte de la singularité de la personne afin de répondre à ses besoins spécifiques liés à son âge. Notons que cela fonctionnera également avec la « juniorité » ! Par-là, j’évoque donc la notion d’apprentissage transférentiel (Sainsaulieu 1977).
L’évolution des entreprises est largement dyschronique, tous les dossiers n’avancent pas à la même vitesse. Les apprentissages ne se font donc pas à la même vitesse, mais plutôt en dent de scie. Si chaque dossier (homme/femme, séniorité, handicap…) peut permettre de tirer les mêmes enseignements quant à la nécessité de la prise en compte de la singularité des individus et donc de la nécessité du rattrapage du désavantage relatif des uns par rapport aux autres, cela se fait avec un décalage calendaire d’autant plus probable que les évolutions légales qui poussent à s’intéresser aux sujets ne se font pas en même temps.
L’idée que je propose ici est néanmoins de construire une « logique transverse de sens » aux différents dossiers de la diversité en adaptant la notion de compensation ; à savoir, la prise en compte de l’éventuel désavantage subi par une personne en raison de sa différence.
La parentalité, typiquement, peut induire un désavantage. La personne absente de son entreprise pendant deux années pour cause de congés parentalité peut être désavantagée par rapport à celle restée en poste. Il est assez illusoire de croire qu’elle pourra reprendre son activité comme si elle l’avait quitté une semaine auparavant. Les changements durant son absence peuvent être nombreux : technologiques, légaux, changement de collègues… Sans un certain nombre de précautions, la réadaptation à la nouvelle situation reposera totalement sur la personne elle-même, voir sur ses collègues en cas de défaillance de la personne revenant (surcharge de travail, incompréhension…). Selon les cas de figure (postes, métiers, responsabilités) cela pourra aller du simple inconfort passager au burn-out ; ce à quoi on peut ajouter d’éventuelles conséquences sur la rémunération ou l’évolution professionnelle de la personne.
Tout sera donc question d’évaluation du désavantage subit par une personne en raison de sa singularité, tenant naturellement compte du fait qu’elle a, ou non, un choix alternatif raisonnable de pouvoir faire autrement.
Imposer cette prise en compte dans l’acte managérial pourra s’apparenter à une invention dogmatique génératrice d’incertitudes. Nous touchons là une autre notion, la résistance au changement et le nécessaire accompagnement qu’elle implique.
[1] Retour raisonné sur ses propres pratiques, capacité à définir ensemble le sens de l’expérience [Norbert ALTER, L’Innovation ordinaire, p. 184]. Selon Sainsaulieu, les apprentissages positifs sont ceux qui permettent à plus d’acteurs de disposer d’une identité les amenant à participer de manière négociée au fonctionnement de l’organisation. De ce fait, ils questionnent la nature et le bien fondé des règles et décisions.