Comment concilier sobriété foncière et développement territorial ?
La loi climat et résilience du 22 août 2021 a fixé un objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050. Ainsi, toute artificialisation devra être accompagnée de la « renaturation » d’une surface équivalente. Dès les dix prochaines années, la consommation totale d’espaces naturels, agricoles et forestiers observée à l’échelle nationale entre 2021 et 2031 devra être inférieure à la moitié de celle observée lors des dix années précédentes.
Ces dispositions prévoient que cet objectif sera mis en œuvre par son inscription selon un calendrier précis dans les documents de planification (SRADDET, SCoT) et d’urbanisme (PLU(i)).
Cette obligation nouvelle suscite de fortes interrogations auprès des collectivités locales (notamment le bloc communal compétent en matière d’urbanisme) concernant la déclinaison de sa mise en œuvre au niveau local et les moyens dédiés.
Elle interroge notamment sur les perspectives de développement des territoires en matière d’habitat et de développement économique.
Si la transition écologique est désormais largement partagée par les exécutifs locaux afin de lutter contre le changement climatique par la renaturation des terres et la protection de la biodiversité, la conciliation entre les objectifs de la loi et le développement local pose question et amène parfois à des injonctions contradictoires. Comment dans ce contexte permettre l’arrivée de nouveaux habitants et répondre aux besoins des entreprises, en sachant qu’une très grande majorité des ZAE (Zones d’Activités Economiques) existantes seront saturées d’ici 2030 ?
En outre, la problématique n’est pas liée qu’aux seules tendances démographiques mais également aux besoins en logements au regard des évolutions sociétales et spécificités locales (desserrement des ménages, poids des résidences secondaires, rareté du foncier, etc.).
Une réflexion de fond mérite d’être discutée pour trouver les bonnes solutions qui ne sauraient être les mêmes d’un territoire à l’autre (ou d’un sol à l’autre), avec des zones plus ou moins tendues, et transformer le modèle d’étalement urbain des dernières décennies.
Au-delà de l’objectif quantitatif, c’est aussi la question qualitative qui doit être posée pour répondre aux considérations écologiques : en ce sens, l’émiettement urbain constitue un risque principal en lien avec ses effets sur la rupture des continuités écologiques, l’altération des paysages ou encore l’accroissement des émissions de carbone en raison des déplacements automobiles. Le ZAN (Zéro Artificialisation Nette) peut être aussi une opportunité pour repenser la planification territoriale en fonction des caractéristiques des sols notamment ceux susceptibles d’être renaturés.
Un préalable, au regard de la difficulté de la tâche, est de renouer un dialogue de confiance entre l’État et les collectivités locales :
- Clarté et stabilité des règles de la déclinaison locale des objectifs du ZAN auxquels les décrets et circulaires récents n’ont pas totalement répondu : la crainte par exemple de pénaliser les comportements vertueux notamment pour les territoires qui ont peu artificialisé au cours des dernières années. Des règles stables sur le temps long peuvent être installées par la contractualisation pluriannuelle avec l’État, par exemple pour sortir des objectifs du ZAN des projets économiques d’envergure nationale : relocalisation industrielle, production d’énergie, etc.
- Lisibilité et efficacité dans le partage des compétences, afin de permettre aux territoires d’avoir les leviers adéquats ; à ce titre, la décentralisation de la politique du logement peut y contribuer.
- Visibilité sur la perspective des moyens financiers : aides (pérennisation du fonds friches…) et de manière plus générale sur l’autonomie financière des collectivités mise à mal depuis plus d’une décennie. La perte d’autonomie s’est récemment accélérée avec la disparition de la taxe d’habitation sur les résidences principales et le projet de loi de finances 2023 visant à supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En particulier, le lien entre fiscalité (ou territorialisation des ressources type TVA) et développement économique d’un territoire est à retrouver (le développement conduisant à un besoin accru de services publics locaux : écoles, crèches, équipements sportifs et culturels, formation, etc.). Qui plus est dans un monde très incertain : si l’équilibre financier des budgets locaux est respecté au contraire du budget de l’État, il est et sera soumis à l’épreuve par le nouveau contexte inflationniste sans commune mesure depuis les années 1980 et tiré par la crise énergétique et alimentaire.
- Respect des spécificités locales par la différenciation et l’expérimentation (Cf. Loi 3DS).
Ensuite, le besoin d’ingénierie des collectivités et de leurs satellites va être grandissant pour trouver les outils juridiques, fonciers et économiques adaptés.
Le développement local va être ainsi de plus en plus dépendant de la maîtrise du foncier et nécessitera d’être innovant, dans un contexte où la valeur du foncier a fortement crû au cours des vingt dernières années.
Parmi les outils et leviers à actionner par les territoires, on peut citer :
- Le bail réel solidaire (BRS) qui permet de dissocier le foncier du bâti pour faire baisser le prix des logements.
- Le recours aux établissements publics fonciers pour mieux maîtriser le foncier et aider à la reconversion industrielle.
- Les opérations de revitalisation des territoires, le programme Petites Villes de demain et les foncières comme un levier et outil d’appui à la redynamisation économique et à l’habitat.
- Les permis de louer sur les zones dégradées en incitant à la qualité de l’habitat.
- La multiplicité fonctionnelle des bâtiments publics (en fonction des horaires d’utilisation : exemple d’une école pouvant servir le soir à l’accueil d’activités culturelles).
- La sectorisation de la taxe d’aménagement pour encourager ou limiter le développement.
- Le fléchage des Aides à la Pierre sur les opérations de densification et les périmètres de centralité.
- Les choix urbanistiques (zones constructibles vs inconstructibles, verticalité des constructions…).
- La rénovation du patrimoine existant.
- La régulation des résidences secondaires (incitation de location à des étudiants ou saisonniers pendant une partie de l’année, majoration de la taxe d’habitation, etc.).
Dans tous les cas, les décideurs locaux devront être volontaristes et persuasifs pour aboutir à l’acceptabilité sociale, économique et écologique de la population et des entreprises. Dépasser ainsi les injonctions contradictoires en créant de nouveaux espaces de vie et de nouvelles formes de consommation sera facilité par un dialogue et une co-construction des solutions avec les habitants en amont des projets.
Le temps long de la décision publique coûte cher. Mais les collectivités locales, qui réalisent et financent 70% de l’investissement public, se sont montrées responsables et efficaces dans le cadre de leurs nouvelles prérogatives même si beaucoup reste à faire (exemple de l’investissement dans les lycées et le TER au niveau régional).
L’objectif est de faire projet avec toutes les parties prenantes pour inciter le collectif à être force de proposition et éviter d’opposer les territoires et les différents échelons locaux mais plutôt jouer sur les complémentarités (exemple des contrats de réciprocité).
L’évaluation des politiques publiques est enfin essentielle pour ajuster les actions, lutter contre les doublons et les superpositions et créer de la valeur ajoutée grâce à ces complémentarités.
SÉMAPHORES propose une offre de conseil complète en stratégie territoriale, évaluation des politiques publiques et ingénierie financière auprès des collectivités locales et leurs satellites (EPL d’aménagement). Nos équipes accompagnent les territoires de tous types (urbains, périurbains ou à dominante rurale) à trouver des solutions sur mesure dans leurs projets de développement durable.