Discrimination :
les devoirs du dirigeant
Le point de vue du législateur
En matière de discrimination, la posture du législateur français s’est construite autour de l’interdiction, faite aux employeurs, de baser leur choix en matière de recrutement ou de gestion de carrière de leurs collaborateurs sur une série de 25 critères jugés « décorrélés » de la notion de compétences. Aussi, est-il par exemple interdit de recruter, ou de ne pas recruter une personne en raison de son appartenance réelle ou supposée à l’une de ces catégories.
Afin de sécuriser le respect de cette règle lors des recrutements, la Loi Égalité Citoyenneté du 1er janvier 2017 oblige les entreprises d’au moins 300 salariés, ainsi que celles spécialisées dans le recrutement, de former à la non-discrimination à l’embauche leurs salariés chargés des missions de recrutement au moins une fois tous les cinq ans.
Répercutions pour les employeurs
L’une des premières conséquences de ce choix de « l’interdiction » a été de conduire les entreprises à faire une repasse juridique de leurs procédures et documents afin de s’assurer de ne pas être exposées au risque légal (amende et peine de prison). On peut qualifier de défensive cette démarche nécessaire, mais comme nous le verrons plus tard peut-être insuffisante.
Les limites de cette approche ?
Ne pas faire quelque chose d’interdit n’implique pas forcément d’adopter une démarche proactive d’ouverture. Ne pas écarter la candidature spontanée d’une personne handicapée, femme ou sénior ne signifie pas que l’on est prêt à aller chercher des profils de ce type pour enrichir la diversité des collaborateurs de l’entreprise.
Au-delà du seul cadre légal, le sujet de la discrimination, ou plus précisément de la non-discrimination à l’emploi doit s’envisager sous l’angle de sa finalité : permettre à tous d’accéder à l’emploi sur la base de ses compétences, sans être entravé par des critères sans lien avec l’expression desdites compétences sur son poste.
Aborder la question de la discrimination sous cet angle revient à changer de paradigme : passer de la contrainte de non-discrimination à celle de l’opportunité de la diversité. Nombre d’études démontrent aujourd’hui que les entreprises « diverses » sont plus performantes que les autres.
Comment être proactif sans verser dans la discrimination positive ?
À ce stade de la réflexion il convient d’introduire une nouvelle notion, l’action positive. Il s’agit là d’une action collective visant à réduire le désavantage subi par un groupe de personnes (le faible taux d’emploi des personnes en situation de handicap ou séniors, la sous-représentation des femmes sur les postes à responsabilités ou techniques…). Nous parlons de reconstruction d’égalité des chances entre les individus.
Nous sommes tous porteurs d’une ou plusieurs singularités (âge, genre, culture…). Une fois immergé dans le monde du travail, normé par des procédures et des standards, la question est de savoir si ces singularités sont de nature à nous désavantager comparativement à d’autres personnes qui seraient dans la « norme ». Si tel est le cas, nous sommes confrontés à une rupture de l’équité.
Adresser volontairement telle ou telle catégorie de personnes (singularités) renvoie à cette notion d’action positive. Une telle démarche nécessite un positionnement fin et argumenté, fondé sur des constats objectifs des déséquilibres constatés. La vigilance sera de mise : poursuivre une démarche proactive orientée sur une catégorie dont le désavantage aurait été résorbé serait assimilable à de la discrimination positive.
Respectant le principe socle que l’employabilité se fonde sur la compétence des individus, adresser volontairement des personnes porteuses de singularités pour étoffer son collectif permettra un enrichissement des points de vue, conduira à des équilibres plus proches de la « société réelle » et donc à être plus pertinent dans la relation que l’on aura avec elle (écoute des besoins, pertinence de l’offre…).
Si la diversité est source d’enrichissement, elle ne pourra l’être qu’en évitant le formatage des profils ! Manager des singularités reviendra à tenir compte raisonnablement des conséquences des différences individuelles pour adapter les pratiques du vivre et travailler ensemble, c’est-à-dire à s’écarter d’une logique égalitariste.
Nous passons donc d’une approche légaliste défensive à une approche basée sur une conviction : manager les singularités est un pléonasme ! Une démarche égalitariste expose à la discrimination.
Cette conviction, incarnée et portée par les dirigeants aura pour conséquences de débloquer les moyens nécessaires à la construction d’une culture inclusive et donc de limiter le risque légal lié à la discrimination. De par son positionnement « positif » elle réduira également les craintes des personnels en charge du recrutement ou de la gestion de carrière d’être « hors la loi ».
Une dernière remarque
Recruter et manager en diversité ne s’improvise pas. Il convient d’y acculturer ses effectifs au travers de formations adaptées.