Premiers constats sur l’évolution légale
du cadre d’emploi des travailleurs handicapés
La réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2020 a engendré un certain nombre d’évolutions : modification dans la comptabilisation des travailleurs handicapés, changement d’interlocuteur pour la collecte de la contribution, fin des accords handicap agréés tels que nous les connaissions jusqu’alors, ou plus précisément fin de leur renouvellement « illimité ». Les politiques handicap des entreprises s’en trouvent-elles fragilisées ? Faisons un point sur plusieurs pans de cette réforme.
Une procédure de déclaration simplifiée
Depuis janvier 2020, au travers de sa DSN mensuelle, chaque employeur doit renseigner pour tous les salariés, stagiaires et période de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP), le statut des Bénéficiaires de l’Obligation d’Emploi (BOETH) employés et accueillis dans son entreprise. La Déclaration d’Emploi de Travailleurs Handicapés (DOETH) est donc dorénavant automatisée. Une déclaration annuelle de régularisation est mise en place en avril de chaque année pour une exigibilité de la contribution au mois de mai.
Cette dernière a nécessité la mise à jour des logiciels de paie et de gestion RH, ce qui a pu représenter un coût pour les entreprises.
À noter que l’obligation de déclaration concerne maintenant également les entreprises de moins de 20 salariés, sans toutefois qu’il y ait de contribution à payer par ces entreprises. Cette obligation de déclaration, perçue par ces structures de petites tailles, comme non expliquée et non accompagnée, n’a peut-être pas eu la portée pédagogique – autour de handicap en milieu professionnel – que l’on aurait pu escompter.
L’absence de période transitoire pour se mettre en ordre de marche a fait planner des inquiétudes pour certains employeurs.
La mise en œuvre du dispositif fut également complexe pour l’URSSAF, nouvel acteur du dispositif. En effet, afin que les employeurs puissent calculer le montant de leur contribution, l’URSAFF devait leur faire parvenir un certain nombre d’informations sur leurs populations actives. Cet apport d’informations a parfois pris des mois de retard sur l’année de transition.
Un interlocuteur unique
Le passage à une déclaration via la DSN a conduit à l’introduction d’un nouvel acteur pour le recouvrement de la contribution, l’URSSAF, ou plus précisément l’ACOSS. Celle-ci se positionne dorénavant entre payeur et bénéficiaire, entre les entreprises et l’organisme pour le développement de la politique d’emploi des personnes en situation de handicap et des dispositifs d’aides aux entreprises (AGEFIPH).
Ce changement d’interlocuteur et la mise en place de cette triangulation d’intervenants a généré une période de flottement et une perte de repères pour les entreprises qui ne savaient si elles doivent s’adresser à l’URSSAF ou à l’AGEFIPH.
Une question avait fait débat, les sommes collectées par l’URSAFF allaient-elles être intégralement reversées à l’AGEFIPH ? Débat clos, Monsieur Christophe ROTH, Président de l’AGEFIPH, a confirmé que le montant de la collecte pour le secteur privé allait être intégralement reversé à l’AGEFIPH.
Une comptabilisation de toutes les formes d’emploi, mais une valorisation différente
Désormais, toutes les formes d’emploi sont prises en compte dans le calcul du nombre de bénéficiaires employés. Quelle que soit la nature du contrat conclu, tout travailleur handicapé est comptabilisé au prorata de son temps de travail sur l’année.
Si cette mesure incite les entreprises à plus d’ouverture auprès de tous les publics en permettant de valoriser plus facilement des « présences courtes » comme les DuoDay, les stages ou encore les PSMSP, le fait de raisonner en prorata temporis peut conduire dans certains cas à une minimisation de la valorisation.
Pour exemple, un salarié handicapé présent plus de 50 % de temps est valorisé au 2/3 temps alors que dans l’ancien calcul, il était valorisé pour une unité pleine.
Passage à l’entreprise comme niveau d’assujettissement
Le passage de l’assujettissement de l’établissement à celui de l’entreprise a parfois entraîné de sérieuses augmentations des contributions. Ce nouveau système a « rattrapé » les entreprises qui se « dérobaient » à leurs obligations au travers de plusieurs entités de moins de 20 salariés. Le système précédent indiquait pourtant bien en substance que les entités de moins de 20 collaborateurs n’étaient pas concernées par l’obligation d’emploi si elles disposaient d’une autonomie de gestion (création – destruction d’emploi). Faute de quoi, leurs effectifs se devaient d’être reportés sur l’entité mère. Ce ne fut que rarement le cas.
Afin de ne pas pénaliser les entreprises dans leur démarche, cette hausse de contribution est atténuée pendant cinq ans par une logique d’écrêtement : la contribution pour la période transitoire 2020-2024 se décline depuis 2020, par l’application d’un abattement par tranche de hausse et de 2021 à 2024, par l’application d’un taux d’abattement unique par année par rapport à la contribution au titre de l’année précédente.
Ces nouvelles modalités conduisent donc certaines entreprises, qui jusqu’alors n’avaient pas mis en œuvre de démarche handicap, à se poser la question d’une politique structurée.
Limitation des accords agréés
Depuis le 1er janvier 2020, les accords agréés de branche, de groupe et d’entreprise (il n’y a plus d’accord d’établissement) sont limités à trois ans, renouvelables une fois pour une durée de trois ans également. Comme précédemment ils restent exonératoires du versement de la contribution à l’URSAFF, le budget de cette contribution devenant le budget de fonctionnement de l’accord.
La date de signature de l’accord conditionne dorénavant la possibilité de son renouvellement.
Nombre d’entreprises, souvent sous accord depuis des années vont donc sortir de ce système à fin 2023.
Si cette réforme vise à limiter la durée de ces accords pour enclencher un changement plus rapide au sein des entreprises, il faut rappeler que se doter d’une politique inclusive en matière de handicap est une démarche qui s’inscrit sur le long terme et met du temps à s’imprégner de façon durable dans l’ADN d’une structure.
De plus, l’affectation d’une partie du budget des accords agréés au financement des salaires des membres d’une cellule handicap en charge du pilotage et de l’animation de la politique, mais aussi à des actions de sensibilisation était une réelle plus-value œuvrant au long cours pour l’inclusion des publics en situation de handicap.
Faut-il craindre la disparition de ces instances centralisées de pilotage (Responsable de Misson Handicap – RMH) ? Certaines entreprises se questionnent déjà : « diluer » le handicap dans la diversité, faire porter le sujet uniquement par des référents de proximité, auto-financer le poste de RMH… ? Le niveau de maturité des structures conditionnera certainement le choix de la solution retenue, parfois au risque d’aller à l’encontre des effets escomptés.
Le recours à la sous-traitance, une incitation confirmée
L’achat de produits ou de services auprès d’un Etablissement et Service d’Aide par le Travail (Esat), d’entreprises adaptées (EA) ou de Travailleurs Indépendants Handicapés (TIH) conserve une place au sein d’une politique handicap. Néanmoins, sa valorisation change complètement de paradigme.
Jusqu’alors convertie en Unités Bénéficiaires (UB), la part de main-d’œuvre de cette sous-traitance alimentait le taux d’emploi dit légal que pouvait afficher une entreprise. Il venait donc s’additionner au taux d’emploi dit direct, celui lié aux travailleurs handicapés directement employés par l’entreprise. Ce cumul permettait un affichage parfois flatteur en termes de marque employeur.
Suite à la réforme, la sous-traitance auprès du secteur protégé ou adapté vient en minoration de la contribution due. Les nouvelles règles tendent à « récompenser » les entreprises ayant déjà un taux d’emploi direct élevé (plus de 3 %), en permettant une déduction à hauteur de 75 % maximum du montant de la contribution, contre 50 % pour les entreprises ayant un taux d’emploi plus faible (inférieur à 3 %).
De réelles craintes ont plané sur un coup de freins possible aux relations de sous-traitance auprès du STPA.
Ce coup d’arrêt apparaîtrait comme hautement incompatible avec le souhait du Gouvernement de créer près de 40 000 emplois supplémentaires de personnes en situation de handicap par les entreprises adaptées d’ici 2024.
À l’heure où sont écrites ces lignes de nombreuses interrogations subsistent, la plus prégnante étant celle relative à l’évolution de l’offre de l’AGEFIPH, notamment envers les entreprises sortant d‘accord agréé.