Evolutions de l’Obligation d’Emploi des Travailleurs Handicapés : implications et opportunités
Au cours des dernières années, l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) en France a connu des changements significatifs, notamment la fin annoncée des accords agréés et une réforme de l’AGEFIPH.
Patricia ARDILLIER, Directrice de TH conseil, nous partage les implications de ces récentes réformes.
Pourquoi l’accord handicap est perçu comme un « accélérateur en mode start-up » dans les entreprises ?
Tout comme la création d’une start-up, qui au démarrage connaît une phase d’incubation avant d’aller vers une phase d’accélération puis de maturation, l’arrivée d’un accord handicap permettra de booster les actions liées autour du handicap en fédérant de nombreuses parties prenantes de l’entreprise (collaborateurs, IRP, direction) et en donnant des moyens financiers dès le démarrage. La politique handicap passe ainsi très rapidement de la phase d’incubation à la phase d’accélération et devient un véritable enjeu de la politique RH et de recrutement de l’entreprise. Pour réussir une politique handicap, il est important de créer une transformation culturelle des acteurs, et en ce sens, impulser une phase d’accélération permet de créer la dynamique stratégique autour du sujet du handicap dès le début. Cela est primordial pour inscrire la politique du handicap dans l’innovation sociale et faire que le besoin d’innover en la matière reste permanent. Et c’est lorsque cela devient permanent et que le besoin social subsiste, que l’accord agréé n’est plus indispensable. De nombreuses entreprises y voient même des avantages à ne plus avoir d’accord agréé.
La sortie de l’accord agréé traduit une volonté d’aller encore plus loin dans l’accompagnement du handicap. Ce n’est absolument pas une régression. En effet, les entreprises peuvent aller au-delà de la dynamique handicap emploi liée à leurs seuls collaborateurs pour introduire des actions qui touchent les proches des collaborateurs comme les familles et les aidants.
L’accord agréé est calé sur 3 ans, alors que le non agrément offre la possibilité de caler l’accord sur 4 ans, à savoir sur le temps d’un CSE, permettant ainsi de faire du handicap un axe fort de l’innovation sociale de l’entreprise.
Depuis quelques temps, l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) connaît des évolutions très importantes. Les récentes réformes appellent à réfléchir à cette obligation dans la fin des accords agréés. Que cela signifie-t-il ? Est-ce une opportunité de multiplier les actions en faveur du handicap, une possibilité d’inscrire l’AGEFIPH comme un acteur fort du recrutement en France ou est-ce un risque de voir les entreprises diminuer leurs actions en faveur de l’emploi des personnes handicapées ?
Avant toute chose, il me semble important de rappeler le contexte de l’obligation de travail handicap au sein des entreprises. La loi du 11 février 2005 a accéléré les dispositifs emploi au sein des entreprises. En effet, elle a été fédératrice pour “l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées” au sein des entreprises. Elle a incontestablement permis de profonds changements dans la prise en charge des personnes en situation de handicap en France, comme l’extension de l’obligation d’emploi des personnes en situation de handicap dans les entreprises du secteur privé et public, permettant d’accroître le recrutement des personnes en situation de handicap dans les administrations publiques.
Mais il faudra attendre 2018 pour véritablement ancrer le recrutement de personnes en situation de handicap dans les politiques de recrutement des entreprises. Cette loi a en effet modernisé le marché du travail et a favorisé l’emploi des travailleurs en situation de handicap. Désormais, toutes les entreprises, quel que soit leur effectif, doivent déclarer le nombre total de leurs bénéficiaires de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés (BOETH). L’enjeu était de promouvoir le handicap sous toutes ses formes en entreprise. Cependant, seules les entreprises dont l’effectif dépasse 20 salariés sont soumises à l’obligation d’employer au minimum 6 % de travailleurs handicapés. Si une entreprise ne respecte pas cette obligation, elle doit verser une contribution financière à l’AGEFIPH. Cette loi vise autant à renforcer l’accompagnement des personnes en situation de handicap qu’à faciliter leur insertion.
Néanmoins, les quotas de 6 % sont loin d’être atteints.
Ainsi, dans l’enjeu porté par le gouvernement Macron de favoriser le plein emploi en France, la révision du calcul de l’OETH est une opportunité pour améliorer l’efficacité de la politique d’emploi des personnes handicapées. Dans ce contexte, la loi de finances 2020 apporte deux changements majeurs en matière d’obligation d’emploi de personnes en situation de handicap :
- la suppression du renouvellement illimité des accords agréés, qui permettaient aux entreprises de se libérer de leur obligation d’emploi en concluant un accord avec l’État.
- l’extension du périmètre de l’accord. La DOETH se fait au niveau de l’entreprise et non plus des établissements. De fait, les accords d’établissement ne sont plus possibles, les accords sont donc conclus au niveau de l’entreprise ou du groupe.
L’enjeu est de renforcer les moyens des accords agréés en matière d’emploi des travailleurs handicapés, en les limitant dans le temps. Cette réforme de la fin des accords agréés est une opportunité pour les entreprises de faire de l’inclusion des travailleurs handicapés un axe fort de la politique sociale des directions des ressources humaines.
La fin des accords agréés offre aussi l’opportunité de faire de l’emploi de personnes en situation de handicap un axe fort du dialogue social et l’opportunité d’une politique d’emploi inclusive.
Cette réforme est fondamentale dans le développement de la politique D&I, qui se développe dans de nombreuses entreprises.
Du coup, y a-t-il aujourd’hui des obligations en matière d’emploi des travailleurs handicapés pour une entreprise qui sort des accords agréés ?
Pour commencer, même si une entreprise n’a plus d’accord agréé, ses obligations en matière d’emploi des travailleurs handicapés restent. La différence réside dans le versement d’une contribution annuelle à l’Urssaf, qui est calculée en fonction de son effectif et de son taux d’emploi de travailleurs handicapés et la valorisation de la sous-traitance qui n’intervient plus au niveau du taux d’emploi, mais viendra en diminution du montant de la contribution due à l’Urssaf. Les entreprises sont désormais éligibles aux aides financières et aux services proposés par l’Agefiph.
Néanmoins, l’obligation de faire sa déclaration tous les mois et d’avoir un référent handicap dans les entreprises de plus de 250 salariés subsiste.
La fin des accords agréés est-elle synonyme de la fin de l’embauche des travailleurs handicapés ?
Les entreprises qui ne pourront plus compter sur des budgets “légaux” pour financer leurs missions handicap risquent en effet fortement d’être déstabilisées.
L’évolution du cadre légal aura nécessairement un retentissement sur l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Nous pouvons donc craindre que la réforme perturbe de nombreuses politiques d’insertion professionnelle des travailleurs handicapés au sein des entreprises.
Mais quelles pourraient être les opportunités de la fin des accords agréés ?
Lorsque nous évoquons les opportunités que représente la fin des accords agréés avec les DRH, les possibilités sont nombreuses : plus de liberté dans l’utilisation du budget, une possibilité de financer des actions de maintien dans l’emploi pour les collaborateurs avec des restrictions telles que les personnes atteintes de pathologies chroniques mais sans restriction RQTH, une prise en compte du handicap dès la mise en œuvre de la procédure, une participation à l’amélioration des conditions de vie des salariés concernés, des aides aux enfants et conjoints en situation de handicap, le soutien d’associations intégrant des collaborateurs de l’entreprise, la possibilité de faire des accords sur 4 ans pour aligner la politique handicap sur la durée d’un CSE et en faire un véritable levier d’innovation sociale et de l’emploi, et enfin, s’il reste un budget à la fin de l’accord, la possibilité de reverser la contribution à d’autres actions…
En substitution de l’accord handicap, l’entreprise peut signer une convention d’entreprise avec l’AGEFIPH. Quels sont les bénéfices ?
Les bénéfices sont également nombreux. Nous pouvons par exemple souligner des actions telles que :
- Recenser et dresser un état des lieux précis des nombreuses initiatives portées par l’entreprise en lien avec ses valeurs.
- Structurer et officialiser une véritable politique “Handicap” au sein de l’entreprise en posant un cadre conventionnel.
- S’engager durablement dans cette voie tout en légitimant la fonction de Référent Mission Handicap en tant que responsable Diversité et Handicap.
L’opportunité de ne pas caler la politique de recrutement du handicap sur le statut de travailleurs handicapés donne à l’entreprise l’opportunité de développer une politique globale et holistique de compensation à des événements de vie souvent peu ou mal pris en compte, tels que l’aidance (10 millions de Français) ou l’accompagnement d’une pathologie chronique (25 % des effectifs), et qui ne sont pas forcément déclarés RQTH. Comme toute start-up qui prend son envol après sa phase d’accélération, la fin des accords agréés permet d’inscrire la politique de handicap dans l’innovation sociale et managériale des organisations, une ruée vers la taxonomie sociale qui arrive à grands pas.